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JPL Films : « SLOCUM ET MOI a pu exister grâce à la Bretagne et au Luxembourg »

Le nouveau film de Jean-François Laguionie est en salles depuis le 29 janvier. A la mi-temps de ce portrait poétique d’un père qui construit un bateau dans son jardin, le spectateur découvre une grande crue de la Marne dans les années 50. Une sorte de clin d’œil visionnaire du cinéaste à la montée des eaux qui frappa la Bretagne en ce début d’année. Heureusement, le studio d’animation des producteurs de « Slocum et moi » à Rennes a été épargné par la montée des eaux de La Vilaine. Entretien avec Jean François Bigot et Camille Raulo, dirigeants de JPL Films, société rennaise qui fête ses trente ans.

Crédit photo : Toute l’équipe du film « Slocum et moi » © Annecy Festival

« Slocum et moi » célèbre la lenteur et la ténacité, qualités rares et précieuses aujourd’hui. Or la production de ce film vous a demandé huit ans. Pourriez-vous les résumer ?

Camille Raulo :  Ça va être long à résumer, car la première note d’intention de Jean-François Laguionie concernant « Slocum » date de 2016 ! Nous l’avons lue dans le train qui nous emmenait au festival d’Annecy où nous partions présenter son précédent film, « Louise en hiver ». Jean-François avait écrit une vingtaine de pages, si imagées et si sensibles que nous avons tout de suite été convaincus.

Jean-François Bigot : Ce récit contenait déjà beaucoup d’émotion, notamment dans la relation entre le jeune François et ses parents.

CR : Un an plus tard, nous avions réalisé le pilote grâce à un soutien au développement de la région Bretagne. Nous avons présenté ce teaser d’une minute au Cartoon Movie de Bordeaux, une vitrine indispensable pour les producteurs. Toute l’Europe de l’animation y est présente.

JFB : C’est là que les premiers distributeurs et vendeurs internationaux se sont intéressés au film. Nous avons signé pour la distribution en salles avec Gebeka, un fidèle de Jean-François Laguionie et pour les ventes internationales avec Urban Sales. C’est aussi à cette occasion que nous avons rencontré Stephan Roelants de Mélusine, qui est devenu notre coproducteur luxembourgeois.

CR : Mais pour lancer la production du film il nous fallait l’accord d’une télévision. Or les chaînes nationales sont de plus en plus longues à se décider. Heureusement les chaînes locales bretonnes se sont positionnées très vite. Pendant ce temps, Jean-François travaillait sur ce qu’il appelle son « animatique sauvage » : il filme de premiers dessins pour créer un story board animé dans lequel il fait lui-même les voix avec sa scénariste et compagne Anik Le Ray, et même les bruitages !

JFB : Jean-François a également contacté Pascal Le Pennec, un musicien talentueux installé près de Lannion, qui avait déjà composé la musique de « Louise en hiver ». Il lui a proposé de travailler sur la musique de « Slocum et moi » mais sans lui fournir d’image du film, ni même lui résumer l’histoire.

CR : C’était une démarche très innovante. Pascal a composé à partir de références météorologiques et d’ambiances, dans une liberté totale de création. Le scénario, l’animatique et la musique avançaient ainsi en parallèle.

JFB : Nous avions aussi commencé à collaborer avec notre coproducteur luxembourgeois, le studio 352 de Mélusine. Denis Lambert dessinait les décors, cet artiste extraordinaire est devenu ensuite assistant réalisateur de Jean François sur « Slocum et moi ». Tout avançait bien jusqu’en mars 2020 quand le Covid 19 a tout arrêté.

CR : Nous avons profité de ce moment pour organiser l’enregistrement de la musique du film avec l’Orchestre National de Bretagne. Il a eu lieu en décembre 2020, c’était impressionnant : Johannes Le Pennec, le fils de Pascal a dirigé plus de 70 musiciens pendant 5 jours au Couvent des Jacobins, un lieu exceptionnel de Rennes. Les musiciens étaient très investis, ils avaient été longtemps privés de jouer ensemble, ça a été pour eux une grande joie.

JFB : C’est à ce moment-là que nous avons appris le refus de France Télévisions qui nous a bien découragés. Mais c’est aussi pendant cette période de fin de Covid que j’ai rencontré par hasard, dans une rue vide de Rennes, Sébastien Semeril. Cet élu m’a parlé de Tempo, un dispositif financier créé par la Métropole pour les acteurs culturels touchés par les difficultés liées au Covid 19 et aux confinements. Ce dispositif a été salutaire, il nous a redonné espoir et ça a déclenché la suite. Nous avons alors postulé au Film Fund Luxembourgeois avec Mélusine et « Slocum et moi » a obtenu l’aide. Nous avons réduit le budget et le film a été réalisé pour 2,6 M€, ce qui est peu pour un long métrage d’animation de cette ampleur. Si « Slocum et moi » a pu exister c’est grâce à la Bretagne et au Luxembourg. J’ai tendance à dire que c’est un film britto-luxembourgeois davantage que franco-luxembourgeois !

Crédit photo : SLOCUM ET MOI de Jean-François Laguionie @Gebeka Films

Vous êtes tous deux associés au sein de JPL Films, comment travaillez-vous ensemble ?

Camille Raulo : Nous choisissons ensemble tous les projets et nous travaillons ensemble à toutes les étapes de chaque projet. Nous sommes même interchangeables : quand l’un n’est pas là, l’autre peut prendre le relais.

Jean François Bigot : Nous avons la chance d’avoir des sensibilités proches en termes de cinéma et une vraie complémentarité. Nous avons de petites spécialisations selon nos affinités avec le réalisateur ou la réalisatrice, ou selon les techniques utilisées. Mais ça se fait naturellement.

JPL va fêter ses trente ans. Quel est votre secret pour durer ?

Jean François Bigot : La première raison, c’est que nous sommes à la fois une société de production et un studio, ce qui est important en termes de pérennité. Un studio reste dépendant des commandes, alors que JPL Films produit ses propres films tout en intervenant aussi en tant que prestataire.

Camille Raulo : Nous travaillons dans la continuité de ce qu’a construit le créateur de JPL, Jean-Pierre Lemoulant. Nous avons été tous deux salariés de l’entreprise, moi depuis 20 ans et Jean-François depuis 11 ans.

JFB : Jean-Pierre a posé les fondations de l’immeuble. Il a notamment organisé un stage de jeunes animateurs franco-portugais dans les années 90 (six bretons et six portugais), financé par la région Bretagne et par l’ICA au Portugal. Des artistes comme Fabienne Collet, Philippe Jullien ou Pierre Bouchon assistaient à ce stage et font aujourd’hui partie de ceux qui font l’âme de JPL et forment de jeunes techniciens. Pour continuer la métaphore, nous avons ensuite construit ensemble le premier étage de l’immeuble JPL en développant de multiples techniques d’animation : la Stop Motion, la 2D et la 3D. Nous travaillons aussi le papier découpé, la peinture, grâce aux talents des techniciens et à l’espace de 900 m2 de nos studios. Aujourd’hui, nous passons au deuxième étage en travaillant une dimension plus hybride de l’animation, en mélangeant les techniques et les genres. Par exemple, nous avons travaillé des images en 3D de la série documentaire « Auschwitz, des survivants racontent », diffusée sur France Télévisions pour les 80 ans de la libération du camp.

Vous travaillez avec des équipes qui viennent majoritairement de Bretagne, de France mais aussi de l’étranger ?

Camille Raulo : Pour « Slocum et moi » nous avons fait appel à beaucoup d’artistes bretons, qui connaissent bien le travail de Jean-François et avaient travaillé sur « Louise en Hiver » comme Johanna Bessière et Pierre Patte.

Jean-François Bigot : Nous avons la chance de nous appuyer sur un écosystème d’artistes et techniciens bretons mais ça ne nous empêche pas de travailler avec des réalisateurs d’autres régions du monde. Nous avons produit les films de Carlos Gomez Salamanca qui est colombien, de José Miguel Ribeiro qui est portugais, et faisait d’ailleurs partie des six portugais du stage des années 90. Il nous a contacté pour nous proposer son long métrage « Nayola » le jour de la sortie de « Louise en Hiver » : « Nayola » était le premier long métrage d’animation portugais et « Louise en hiver » le premier long métrage d’animation breton produit par une société bretonne. Nous partageons notre passion avec beaucoup de personnes en Bretagne mais aussi au-delà, c’est ce qui nous anime.

Le court-métrage est-il toujours au cœur de votre production ?

Jean François Bigot : Nous vivons un moment du cinéma où l’inventivité de l’écriture vient souvent du court-métrage d’animation. Cela rejoint notre envie de développer des choses innovantes formellement, et il faut être innovant car la concurrence est rude. Le court-métrage est le cœur de notre activité qui nourrit les projets. Ainsi nous avons connu la réalisatrice Sarah Van Den Boom en travaillant sur son court métrage « Raymonde ou l’évasion verticale » avec la société Papy 3D. Aujourd’hui nous réalisons toutes les marionnettes animées en stop-motion de son long métrage « Séraphine » avec la société Little Big Story.

Comment avez-vous été accompagné toutes ces années par la région Bretagne ?

Jean François Bigot : Les débuts de JPL ont correspondu à l’intégration croissante de l’audiovisuel et du cinéma dans les priorités de la région Bretagne. Notre société a grandi en même temps que le service des aides au cinéma de la Région. Bien sûr nos projets ne sont pas systématiquement soutenus par la région Bretagne mais ils le sont souvent. C’est important pour notre société mais aussi pour l’emploi et les dépenses matérielles locales. Pour 1€ d’argent reçu d’aides régionales ou locales, nous dépensons 5 à 6€ en Bretagne. Il est essentiel de le rappeler dans le contexte actuel.

Propos recueillis par Valérie Ganne.

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