Aller au contenu

« La série ANAON a été pour moi un autre terrain d’exploration de la Bretagne »

Edwige Le Carquet, résidente de la presqu’île de Crozon, était cheffe décoratrice sur la série « Anaon », en sélection au festival Séries Mania et diffusée le 4 avril sur Prime Vidéo. Ce thriller fantastique de 6 x 52 minutes s’est tourné en Bretagne, avec le soutien financier de la Région et l’accompagnement personnalisé de l’Accueil des tournages.

Crédit photo : Edwige Le Carquet, cheffe décoratrice bretonne

Comment êtes-vous arrivée sur la série Anaon ?

Edwige Le Carquet : J’ai travaillé pour la première fois avec le réalisateur David Hourrègue il y a une dizaine d’années sur une série qu’il réalisait. Puis on s’est retrouvés sur la série Rivages en 2023, on a enchaîné sur Anaon, puis sur une nouvelle série, Désenchantées, en tournage en ce moment dans la baie de Somme. C’est une belle entente professionnelle, quand il m’appelle, c’est difficile de refuser.

En quoi consiste concrètement votre rôle de cheffe décoratrice ?

E.L.C : Dès la préparation, je discute avec le réalisateur de ses envies esthétiques, de sa direction artistique. Je lui propose des ambiances, un univers par personnage et par décor. Il me nourrit avec des images de films qui m’alimentent jusqu’à un point de rencontre artistique. J’essaie de prendre en compte aussi les envies du chef opérateur, notamment ses choix de lumière. Je fais des dessins, je propose des tissus, des papiers peints, des couleurs de peinture pour les murs. Nous composons vraiment chacun des décors ensemble.

Sur Anaon, quelle était la taille de l’équipe chargée des décors ?

E.L.C : Sur le tournage, l’équipe a représenté jusqu’à 24 personnes : certains au bureau sont en charge du budget et de la logistique, mais il y avait également une graphiste, une ensemblière, des chefs constructeurs, deux peintres, des sculpteurs. Et nous travaillons aussi avec des ripeurs qui vident les décors et les transportent. Ils étaient jusqu’à six sur Anaon, je les appelais nos « déménageurs de l’extrême ».

C’est impressionnant. Cette équipe comptait beaucoup de Bretons ?

E.L.C : Bien sûr : tous les peintres, les constructeurs, les ripeurs, étaient bretons, dont certains que je connaissais déjà. Il y a des supers techniciens et techniciennes en Bretagne, avec qui j’aime beaucoup travailler.

La série a été écrite par Bastien Dartois, qui est aussi breton. Le connaissiez-vous ?

E.L.C : Non, pas du tout. En tant que scénariste, il était surtout en lien avec le réalisateur. Je sais qu’il voulait écrire sur la Bretagne depuis très longtemps, ça lui tenait à cœur de mettre en avant l’imagerie et la culture bretonnes. Il avait aussi des envies esthétiques, il a même réalisé des petits croquis, notamment du sarcophage qui est au cœur de la série.

Crédit photo : Série ANAON © Rebecca Vaughan Cosqueric

De quelle façon votre connaissance de la Bretagne a-t-elle été un atout pour votre travail sur Anaon ?

E.L.C : Je vis dans le Finistère, Anaon s’est tourné près de Rennes, une partie de la Bretagne que je connais moins. C’était un autre terrain d’exploration pour moi. J’ai pu approfondir le folklore, notamment la figure de l’Ankou, le passeur des morts. Je me suis beaucoup documentée sur la représentation de la mort en Bretagne, les entrelacs celtiques, pour nourrir tous nos dessins. C’était inspirant de se replonger dans cette imagerie bretonne.

Il est donc possible de vivre à Crozon et de travailler sur la France entière ?

E.L.C : En tout début de carrière, c’est bien d’être disponible et basé à Paris. Mais franchement, il y a tellement de tournages en Bretagne que beaucoup de techniciens ont vraiment construit leur carrière en vivant ici.  C’est aussi des histoires de rencontres : sur Rien à perdre de Delphine Deloget, qui s’est tourné à Brest, j’ai rencontré le chef opérateur Guillaume Schiffman qui m’a proposée de collaborer sur le tournage du Consentement de Vanessa Filho à Paris. Mon travail m’amène à me déplacer beaucoup, parfois pour deux à quatre mois. Mais dès que je ne travaille pas, je reviens en Bretagne.

Votre métier sur une série est-il très différent par rapport à un long métrage de cinéma ?

E.L.C : Je travaille vraiment de la même manière sur les deux. J’essaie d’avoir les mêmes méthodologies de travail, les mêmes types d’organisation. En revanche, les budgets ne sont pas les mêmes, ce qui a des conséquences sur les temps de travail et d’intervention. Quand les décors s’enchaînent en peu de temps, sur un rythme très soutenu, la masse de travail peut devenir considérable. Anaon avait 60 jours de tournage dont beaucoup de scènes en extérieur. J’ai donc eu le temps de faire des choix, d’équilibrer nos forces d’intervention sur les décors. La série Anaon avait davantage de moyens qu’un film de cinéma peu financé, mais beaucoup moins qu’un long métrage classique !  En tous cas, le budget de la série m’a offert beaucoup plus de latitude dans mon travail quotidien sur la préparation et pendant le tournage.  Pour Rien à perdre à Brest, l’équipe était moins nombreuse et nous avions moins de décors. Il y a toujours un équilibre à trouver entre nos interventions et la quantité de décors. Je cherche toujours des solutions de production pour être efficace à l’image, dans le temps et le budget impartis.

Comment travaillez-vous avec l’Accueil des tournages de Bretagne Cinéma ?

E.L.C : Très bien ! Les responsables m’envoient les CV des techniciens avec lesquels je tourne, me donnent des contacts. Elles ont été en soutien, accueillantes et efficaces.

Quel est votre parcours professionnel ? C’est rare que les chefs de poste vivent en région et vous êtes jeune.

E.L.C : J’ai fait les Beaux-Arts de Lyon. J’ai commencé assistante sur des publicités et au bout d’un an, j’ai eu vraiment envie de me tester comme cheffe décoratrice. J’ai commencé avec des courts métrages pas payée, puis payée, puis un film, puis une série. Petit à petit j’ai acquis mon expérience, composé des équipes, amélioré ma méthodologie de travail. J’ai eu la chance de passer cheffe de poste assez vite sur des projets plus ambitieux avec de plus grandes équipes déco. Sur une douzaine d’années j’ai fait mon petit bonhomme de chemin.

Les tournages sont-ils devenus davantage écoresponsables dans le domaine de la décoration ?

E.L.C : Bien sûr, j’y suis sensible depuis longtemps. Il faut recycler, c’est absurde de tout jeter à la déchetterie. A la fin des tournages, nous vendons les décors à moitié prix à l’équipe, nous ouvrons le stock aux brocanteurs de la région, nous donnons des objets à des ressourceries. Le bénéfice est donné à des associations locales, ou réinjecté dans le budget décoration. Par exemple sur la série Rivages, nous avons choisi une association qui restaure des vieux bateaux à Fécamp. Sur Anaon, nous avons choisi une association rennaise qui soutient les migrants. Nous avons aussi ouvert une partie du stock à une association d’intermittents du spectacle de Rennes qui a créé un stock de décoration et à une ancienne maquilleuse qui a monté une ressourcerie… C’est systématique sur tous mes tournages aujourd’hui.

Propos recueillis par Valérie Ganne.

Découvrir la série ANAON

Partager :

Notre actualité

La newsletter Cinéma