Cannes 2024: Films Grand Huit sous le feu des projecteurs
13 May 2024
9 minutes de lecture
Leur société de production se nomme Films Grand Huit parce que comme l’explique Pauline Seigland, une des deux têtes pensantes de l’entreprise bretonne, « produire du cinéma indépendant, c’est un saut dans l’inconnu avec des grands hauts et bas. » Lauréate en 2022 de deux Césars, de l’Ours d’argent avec Disco Boy à la Berlinale 2023, Films Grand Huit débarque cette année au Festival de Cannes avec deux films. Entretien croisé avec ses deux fondateurs, Pauline Seigland et Lionel Massol.
« Nous sommes deux calculettes pailletées ! »
Comment vous êtes-vous rencontrés et avez commencé à travailler ensemble ?
Pauline Seigland : On s’est rencontrés en BTS audiovisuel à Toulouse puis nous sommes allés ensemble étudier à l’école des Gobelins à Paris. Ensuite, on peut dire qu’on s’est suivi mutuellement et professionnellement. On travaillait tous deux sur des postes d’assistants, nous avons avancé ensemble sans nous perdre de vue. Jusqu’au moment, en 2015, où nous avons décidé de créer Films Grand Huit, notre propre petit cocon. Le siège social se trouve à Saint-Pierre de Quiberon où nous avons aussi une résidence d’écriture, en plus d’un bureau à Paris.
Diriez-vous que vos personnalités sont complémentaires, similaires, différentes ?
Pauline Seigland : Je dirais qu’elles se ressemblent et diffèrent. Nous sommes amis dans la vie. Nous avons des points communs, des envies communes d’avec qui travailler. Nous partageons une même volonté de raconter l’état du monde, en adoptant un point de vue qui peut être très poétique, très intime mais qui raconte toujours quelque chose de politique. Nous sommes aussi très impliqués dans les chiffres, dans les budgets mais aussi dans comment un film vit, doit rencontrer son public, et ça on le fait tous les deux. Je dirais pour nous résumer que nous sommes deux calculettes pailletées !
Et en quoi différez-vous ?
Pauline Seigland : Lionel et moi partageons la même cinéphilie et le même éclectisme, même si on aime des typologies de films très différentes. Je suis très expansive, très concrète, j’ai très longtemps travaillé à des postes de direction de prod. Lionel est plus impliqué dans les structures, il a comme points forts de savoir gérer une société, il est aussi très fort en post-prod. Il est plus carré que moi, plus organisé. Moi je suis un peu plus fofolle, ce qui peut avoir du bon aussi. En réalité, on se complète super bien.
Lionel Massol : Je suis d’accord, notre complémentarité dans le travail est géniale, dans ce que doit être le cinéma, dans tout ce qui va permettre de créer ou de faire aboutir un projet, nous parvenons naturellement à une répartition des rôles très naturelle. C’est presque de la télépathie. C’est hyper agréable de travailler ensemble.
Pouvez-nous nous présenter les deux films que vous produisez et qui sont sélectionnés cette année au Festival de Cannes ? Il y a d’abord “Mi Bestia” de Camila Beltrán, sélectionné par l’ACID, l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion…
Lionel Massol : Tout à fait. Produire et permettre à ce film d’exister fut loin d’être simple. J’ai rencontré Camila, une réalisatrice colombienne vivant en France, diplômée des Beaux-Arts, il y a dix ans au festival de Clermont-Ferrand. J’ai voulu alors savoir qui elle était et j’ai été frappé par sa puissance de mise en scène très rare. Pour ce long métrage qui parle de ce que c’est de devenir une femme au cœur du Bogota des années 1990, dans une société très paternaliste, dangereuse, le financement a été très long. Mais nous y sommes parvenus. Au bout du compte, Camila a réalisé un objet cinématographique rare, fort, avec un point de vue très féminin.
Pauline, vous vous êtes de votre côté impliquée auprès de Jonathan Millet, dont “Les Fantômes” sera projeté en ouverture de la Semaine de la critique…
Pauline Seigland : Oui. J’ai toujours eu beaucoup d’estime pour Jonathan, c’est quelqu’un de très impliqué politiquement dans par exemple l’accueil des sans papiers, nous partageons une même vision de ce qui ne va pas dans le monde. Il m’a parlé du fait divers dont parle ce film, la façon dont des Syriens, en Europe, se sont regroupés pour retrouver des bourreaux du régime de Bachar el-Assad. Il m’a dit vouloir réaliser un film d’espionnage intimiste. Et j’ai dit oui. Ensuite, c’est allé très vite, le film a bénéficié d’une sélection du Groupe Ouest en 2021 pour son développement. Le soutien de tous les financements que nous avions demandés sont ensuite arrivés.
Aucun des deux films n’a été tourné en Bretagne. En quoi sont-ils pour autant bretons ?
Lionel Massol : Nous avons notamment bénéficié de l’aide régional au co-développement international, qui permet aux sociétés bretonnes de bénéficier d’une aide pour développer des projets à l’international. Une aide vraiment géniale et qui fonctionne vraiment. Les autres soutiens de Bretagne Cinéma et de la Région en termes d’aide à la production, du matériel de tournage nous ont été précieuses. Et la post-production son et image s’est effectuée en Bretagne.
Pauline Seigland : Un quart de l’équipe des Fantômes était bretonne, et a travaillé sur l’ensemble du tournage, dans tous les lieux, à Strasbourg, en Allemagne et en Jordanie. Toute la filière son était bretonne, perchman, monteur son, ingénieur du son… Mais aussi la post-production, l’assistance caméra. On a vraiment amené la Bretagne avec nous partout sur ce film.
Lionel Massol : Encore une fois, les aides financières ont été exceptionnelles. Nous sommes Bretons, nous avons vraiment à cœur de développer des coopérations à long terme avec ces institutions, de développer des collaborations avec l’Accueil des tournages, avec les techniciens d’ici. De faire fructifier et vivre ces métiers en Bretagne.
Pauline Seigland : Nous avons travaillé avec des équipes bretonnes sur les deux films, pas mal de gens ont même travaillé sur les deux, commençant par l’un, poursuivant avec l’autre. C’est exceptionnel de bénéficier de telles conditions de travail, de telles équipes, et de pouvoir produire des films hyper ambitieux, dont nous sommes vraiment fiers.
- Les Fantômes, de Jonathan Millet en ouverture de la Semaine de la critique. Au cinéma le 3 juillet.
- Mi Bestia, de Camila Beltrán à l’ACID.
Consulter l’article “La Bretagne à l’honneur au Festival de Cannes 2024.”
Interview rédigée par Alexandre Duyck.
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