“La série 37 SECONDES voit le jour grâce à la coopération des bretons”
19 March 2025
8 minutes de lecture
Le 15 janvier 2004, le Bugaled Breizh, un chalutier breton coule. Anne Landois et Sophie Kovess-Brun, scénaristes, ont le même intérêt pour les intrigues judiciaires (Engrenages, La promesse, 66-5). Pour la série 37 secondes (6X52 minutes) diffusée sur Arte, elles ont épluché 12 ans d’enquête afin d’en tirer les trames narratives tout en laissant la liberté de la fiction.

Qu’est-ce qui a motivé votre désir de raconter cette histoire ?

Sophie Kovess-Brun : En voyant l’épave du Bugaled Breizh sur la rade de Brest, j’ai senti comme une humiliation. Imaginez lors d’un homicide qu’on laisse le cadavre exposé… Le voir se faire découper, ça m’a touchée. J’ai commencé à travailler et je me suis rendu compte que je ne connaissais rien, je ne me souvenais que de l’émotion mais pas de la révolte.

Anne Landois : Sophie est ma caution bretonne, c’est elle qui m’en a parlé la première. J’avoue que je reliais plus les tragédies bretonnes aux marées noires.
Est-ce une série de genre, de procès, que vous vouliez écrire ?
Anne Landois : L’idée première était de raconter l’impact de cette tragédie sur les individus.
Pour écrire la fiction, nous avions besoin de savoir de quoi l’on parlait. Très tôt, l’on s’est rapprochées des acteurs judiciaires phares. Ils nous ont donné accès aux pièces du dossier. La matière était très dense, technique. Parfois, je ne comprenais rien ! (rires)
Sophie Kovess-Brun : Les rapports, c’est une grammaire. Des experts de toutes parts ont essayé de comprendre ce phénomène physique : comment un tel bateau a-t-il pu couler ? Quelle force sur cette masse a-t-elle rendu ça possible ?
Peut-on parler de mensonge d’état ?
Anne Landois : Je n’irai pas jusque-là. La justice s’y est mal prise ; personne ne connaissait la mer et le dossier s’est refermé d’une manière étrange. Nous avons choisi d’épouser la thèse de l’expert sous-marinier : un sous-marin américain a attrapé le Bugaled Breizh accidentellement.
Sophie Kovess-Brun : La justice a maltraité les familles, mais elle a essayé de faire son travail. Si l’affaire a duré longtemps, c’est grâce à l’énergie des familles, ce sont elles qui ont eu la volonté de comprendre, de se battre.
Les avez-vous rencontrées et vous ont-elles inspiré la part de fiction ?
Anne Landois : Nous avons fait le choix de ne pas rencontrer les familles. Qu’aurions-nous fait de leurs chagrins ? Par respect pour leur mémoire, on a refusé d’instrumentaliser leur souffrance. La vérité, ce sont les faits ; et tout ce qu’il y a autour, les émotions, la façon dont les gens ont lutté, les questionnements, les relations entre les uns et les autres, ça c’est notre part d’invention.
Sophie Kovess-Brun: Si l’on ne peut pas traduire nos émotions dans nos personnages, alors c’est un autre métier : celui des journalistes ou des documentaristes.
Anne Landois : C’est par le personnage de Marie (interprétée par Nina Meurisse) que la fiction entre. C’est elle qui entraine les familles, et sa romance avec l’avocat nous a permis de raconter, au-delà du combat judiciaire, l’émancipation d’une femme. Le paradoxe, c’est qu’avec ce drame, elle découvre sa voix, sa force.

Quel personnage est la Bretagne dans cette série ?
Sophie Kovess-Brun : Ce n’est pas toutes les régions qui mènent un tel combat ! On a eu envie de la requestionner, on l’a vue tant de fois au cinéma. La réalisatrice Laure de Butler a fait un travail esthétique d’incarnation remarquable. Ce Finistère que l’on connait moins, elle a su en restituer la beauté, la dangerosité, la force des paysages. L’ambiance d’incertitude qui crée un mystère.
Anne Landois : Dans la série, la Bretagne n’est pas un décor, c’est un personnage ! On ne sait jamais ce qu’il va se passer, les conditions de navigation changent d’un instant à l’autre, le danger est imminent, rend humble.
Pourquoi avez-vous choisi de tourner au Guilvinec ?
Anne Landois : Je ne vois pas où l’on aurait pu aller ailleurs. C’est le lieu du drame.
Sophie Kovess-Brun : Si Robert Bouguéon, l’ancien président du comité́ des pêches du Guilvinec nous avait dit : ne venez pas, il y a trop de souffrances, nous nous serions arrêtées là. Mais les gens ont eu envie de cette histoire. Dominique Salles, l’expert sous-marinier nous a dit, c’est peut-être la dernière chose qu’il reste à faire.
Anne Landois : Nous avons passé du temps au Guilvinec, nous avons rencontré tous les acteurs locaux. Les repérages y ont été faits ; les habitants, les restaurateurs, les hôteliers nous ont énormément aidé.
Comment s’est passé la collaboration avec les professionnels bretons ?
Anne Landois : Bretagne Cinéma a été associé au projet assez tôt. Si nous n’avions pas eu l’aide de la Région Bretagne, nous n’aurions pas pu la faire. Avec Saga Blanchard, la co-productrice, nous faisions régulièrement des réunions pour dire où l’on en était. C’est grâce à la coopération des bretons que cette série voit le jour. Le tournage est 100 % breton : 61 jours de tournage sur des décors bretons. 30 % des dépenses y ont été réalisées : pour les salaires, les décors, les hébergements, la restauration. Des comédiens, des techniciens, des prestataires sont bretons, des figurants aussi. Dans la marche que l’on a reconstitué à Quimper, il n’y a que des bretons. C’était leur façon à eux de rendre hommage aux marins. Et ces héros de l’ordinaire, ce sont eux que nous voulions mettre à l’honneur.
Propos recueillis par Guénaëlle Daujon.
Découvrir la série 37 SECONDES
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