Souad et Anna, à la fabrication des pantins du « Secret des mésanges »
16 October 2025
8 minutes de lecture
Toutes deux résidentes bretonnes, elles ont participé au « Secret des mésanges » d’Antoine Lanciaux, film d’animation entièrement fabriqué en pantins en papier découpé. Une partie de ce projet, en salles le 22 octobre, a été fabriquée en Bretagne dans les studios de JPL Films. Souad Wedell, habitante du village de Treffendel, travaille depuis plus de 25 ans avec JPL Films, studio où la bretonne Anna Vincensini est devenue en six ans une technicienne confirmée du compositing. Portrait croisé de deux passionnées.

Quelles ont été vos formations ?
Souad Wedell : Je suis moitié française moitié américaine, j’ai grandi près de San Francisco. Je suis arrivée en France à 18 ans où le vent et la chance m’ont déposée à Rennes, à la faculté d’arts plastiques. J’y ai rencontré Yvon Guillon qui avait mis en place une formation d’un an en stop motion pour quelques passionnés et Jean-Pierre Lemouland, fondateur de JPL Films, qui était intervenant. C’est comme ça que j’ai été embauchée pour animer Le cyclope de la mer de Philippe Jullien, qui était le premier film produit par sa société. Il y avait déjà un petit milieu de l’animation à Rennes à l’époque, dans les années 90.
Anna Vincensini : J’ai suivi une formation en motion design à l’école de Design de Nantes Atlantique. Mes compétences recoupent les mêmes techniques que celles à l’œuvre dans les films d’animation. L’animatrice Julia Peguet est intervenue pour un workshop de stop motion et a appuyé ma candidature pour un stage sur le tournage de Un cœur d’or de Simon Filliot à JPL Films. J’ai continué les stages jusqu’à travailler à plein temps principalement sur les décors, les marionnettes et les tournages de films en stop motion et aussi en compositing. Quand j’ai découvert ce travail, j’ai tout donné pour montrer mon savoir-faire. C’était il y a six ans et je suis restée. D’habitude, dans le secteur de l’animation, les animateurs doivent souvent suivre les projets là où ils se fabriquent, dans des villes différentes. C’est une grande chance de pouvoir travailler régulièrement en Bretagne et de construire une vie de famille ici.
Un dessin animé en pantins en papier découpé est une technique artisanale rare, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Souad Wedell : C’est en effet une technique très particulière, hybride entre dessin animé et stop motion. C’était une première pour moi, même si j’ai beaucoup d’expérience dans ces deux techniques. La créatrice graphique du Secret des mésanges, Sophie Roze travaille au « studio-mère » du film, Folimage à Valence. Elle est venue à Rennes nous expliquer son processus de fabrication très précis. Les pantins de papier sont animés sur des tables multi-plans, leurs membres bougent grâce à des articulations aimantées ou en papier. A partir de l’univers graphique créé par Sophie, nous avons fabriqué la moitié des pantins du film. C’était un travail phénoménal car il fallait répertorier les besoins plan par plan ; les actions, les échelles, les interactions… Je préparais les dessins des pantins pré-animés qui servaient de référence aux sept techniciens qui les fabriquaient ensuite : il faut vraiment leur faire honneur, chaque artiste a pris en charge de nombreux personnages avec minutie et précision sous toutes les coutures, chaque jour pendant six mois.
Anna Vincensini : Pour un seul personnage, il faut créer huit pantins, de face de dos, de côté; chacun de quatre tailles différentes, du plus petit au plus grand. Je me suis occupée du personnage de Mandrin le chien, pour lequel j’ai créé 2000 pantins !

Anna, après la création des pantins, vous avez également dirigé le compositing avec 3 opérateurs, en quoi consiste cette étape ?
Anna Vincensini : Nous étions trois équipes au compositing supervisées par Christophe Gautry, chef compo de Folimage. J’étais en charge de l’équipe rennaise. Chaque pantin est animé sur une table multi-plan sur fond vert. Chaque élément de décor est filmé séparément. Nous avons intégré les animations des pantins sur les décors que nous avons entièrement composité en nous appuyant sur l’animatique. Nous avons aussi animé les accessoires, comme les plumes, les véhicules et les bouches de certains personnages lointains. Nous devions recréer les ombres entre chaque élément ainsi que du flou de distance pour recréer une profondeur. Nous avons aussi réalisé tous les effets, comme le feu, le vent, l’eau… Après 6 mois sur les pantins, nous avons travaillé 4 mois et demi à quatre à ce compositing.

Pouvez-vous citer d’autres films d’animation marquants sur lesquels vous avez travaillé en Bretagne ?
Anna Vincensini : Une guitare à la mer de Sophie Roze, une réalisatrice très talentueuse. C’est un moyen métrage pour enfants, mais avec une double lecture pour adultes, produit par JPL Films à Rennes. Il a reçu le Cristal et le prix du public de la meilleure production TV à Annecy en 2024.
Souad Wedell : Pour moi aussi Une guitare à la mer : j’ai travaillé à la fabrication et animé les marionnettes sur ce film pendant douze mois, c’était une grande aventure humaine et artistique. Nous exerçons un métier complètement fou, chaque jour est différent. L’animation est un art qu’on peut appliquer avec beaucoup de techniques différentes et nous travaillons dans un studio à échelle humaine ce qui nous permet de varier nos pratiques. Tout un savoir-faire s’est développé en région depuis nos débuts, il y a aujourd’hui des équipes hautement spécialistes grâce à deux sociétés, JPL Films et Vivement Lundi. C’est une chance énorme.
Anna Vincensini : C’est vrai, on a une chance incroyable. C’est impressionnant toutes les compétences qui existent dans les studios d’animation bretons. J’ajoute que les techniciens bretons sont généreux dans la transmission de leur savoir-faire. J’ai eu la chance d’être formée par les équipes, c’est grâce à leur partage qu’aujourd’hui je peux être chef de poste à JPL Films alors que je ne travaille que depuis six ans.
Propos recueillis par Valérie Ganne.
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